Salman Ahmed, Global Strategist chez Lombard Odier IM, reveint sur la déroute de la bourse chinoise et ses conséquences sur l'économie mondiale.
Quelques jours après les signes concrets de résolution de la dette grecque qui ont fait retomber la tension, l'attention des investisseurs se tourne maintenant vers la Chine, où la déroute actuelle des marchés boursiers « onshore » soulève des questions sur la deuxième plus grande économie du monde. Nous expliquons ici pourquoi nous pensons que le risque d'une véritable crise financière avec des conséquences systémiques dans l'économie mondiale reste faible.
Encouragée par le secteur de l'immobilier et l'augmentation exponentielle du « shadow banking », la dette totale de la Chine est passée de 7000 milliards de dollars en 2007 à 28 000 milliards de dollars mi-2014, selon les estimations publiées par McKinsey. S'élevant désormais à 282 % du PIB (chiffre susceptible d'avoir encore augmenté au cours des 12 derniers mois), le poids de la dette chinoise a devancé celui des États-Unis.
Cependant, le plus inquiétant est que près de la moitié de la dette est liée de manière directe ou indirecte au secteur immobilier et que la récente explosion est en grande partie due au « shadow banking ». À cela s'ajoute le fait que les dettes des gouvernements locaux sont susceptibles de devenir insoutenables.
Le fort ré-endettement après la crise financière mondiale est loin d'être une exclusivité chinoise. Selon les estimations de McKinsey, la dette mondiale a progressé de 57.000 milliards de dollars entre 2007 et 2014, soit une augmentation de 17 % par rapport au PIB.
Alors que la Chine a connu une période de croissance solide pendant la période de ré-endettement (avec un pic en 2010/2011), au cours des deux dernières années, les problèmes liés à une capacité excédentaire combinée au surinvestissement ont entraîné un ralentissement de la croissance. Le changement stratégique d'orientation initié par les autorités chinoises favorisant la consommation au détriment de l'investissement a également eu un impact, mais aujourd'hui, ce sont les fondamentaux économiques qui montrent des signes de fatigue.
Le ralentissement chinois n'est pas une nouveauté comme en témoigne la baisse des prix des matières premières ces derniers temps. En effet, ces trois dernières années, de nombreux analystes ont tiré la sonnette l'alarme rappelant la crise asiatique de 1997/1998. Cependant, une position extérieure nette très positive (à hauteur de près de 2000 milliards de dollars en 2013) et le profil de liquidité du bilan (la majeure partie des actifs étrangers sont en obligations liquides) viennent sérieusement contrecarrer la plupart des arguments les plus pessimistes.
Toutefois, les autorités chinoises ont déployé des ressources (200 à 250 000 milliards de dollars) pour endiguer la récente déroute des marchés boursiers nationaux. Cela a suscité des inquiétudes quant à leur capacité à assurer de manière crédible la stabilité du système financier alors que les déséquilibres économiques sont corrigés au fil du temps par une période prolongée de croissance modérée.
Rappelons que les autorités chinoises ont accès à des réserves de liquidités de près de 4000 milliards de dollars hors endettement (ce dernier pouvant être utilisé si besoin). En outre, la position extérieure nette enregistrée fin 2013 pourrait facilement avoir absorbé les 700 à 800 milliards de dollars de sorties de capitaux qui semblent avoir eu lieu au cours des 12 derniers mois (selon le rapport de Goldman Sachs).
Concernant les marchés mondiaux, nous pensons qu'il est important de faire la différence entre un choc dû à une crise boursière et un ralentissement de la croissance plus marqué en Chine.
Compte tenu des atouts susmentionnés dont disposent les autorités chinoises, nous continuons à penser qu'elles ont la capacité et la crédibilité pour sécuriser le système financier fragilisé par le poids de la dette. Cependant, le programme d'assouplissement déployé ces derniers mois dans le but de faire repartir la croissance à la hausse a eu pour conséquence involontaire de déclencher un fort rebond des marchés boursiers à l'origine des déséquilibres actuels. Nous pensons toutefois que la volonté des autorités chinoises d'assurer leur stabilité financière (au vu notamment des secteurs soutenus) est susceptible de peser davantage que leur capacité à y parvenir (qui reste bonne).
La croissance risque encore de pâtir des hauts et des bas suscités par la volatilité des marchés boursiers. Les fortes baisses des matières premières montrent que cette dynamique s'est accélérée et surtout, qu'elle risque de se prolonger à l'avenir.
Concernant l'économie mondiale, cette tendance est une nouvelle source de déflation (en raison de la baisse des prix des matières premières). Elle a un impact négatif sur les prévisions de la croissance mondiale (notamment pour les exportateurs de matières premières et les pays asiatiques faisant partie de la chaîne d'approvisionnement de la Chine) en raison des effets sur les échanges commerciaux. Si nous écartons un scénario de type de crise financière, nous pensons que les conséquences économiques directes pour l'économie américaine devraient rester assez modestes (cela dit, une forte appréciation du dollar entraînerait certainement une réorientation de politique de la Fed à court terme). Cette tendance déflationniste risque de se renforcer si la Chine décide d'utiliser le yuan comme outil de sa politique dans les prochains mois. La Chine s'est toutefois abstenue de le faire jusqu'à présent en raison de ses objectifs affichés d'entrée du yuan dans le panier des DTS et d'internationalisation de sa monnaie.
Salman Ahmed - Global Strategist chez Lombard Odier IM
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