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Partage des richesses : le rapport de force s'inverse

04/05/2020 - 09:10 - Sicavonline - La Rédac'


Partage des richesses : le rapport de force s'inverse

Découvrez l’intégralité de notre deuxième entretien avec Pierre-Yves Gauthier, fondateur et président du cabinet d'analyse financière AlphaValue, consacré au futur traitement de l’actionnariat.

La crise du Covid-19 rebattra de nombreuses cartes. La répartition de la valeur ajoutée créée par les entreprises sera revue et corrigée et l'actionnaire ne sera plus au centre de toutes les attentions.

Vincent Bezault : Dans un précédent entretien, Pierre-Yves Gauthier, vous nous aviez expliqué que selon vous les marchés s'illusionnaient et n'avaient pas intégré que les profits seraient en berne pour longtemps. Mais en fait vous allez encore plus loin. D'après vous, la crise sanitaire actuelle met un terme à la période du "tout pour l'actionnaire". Si on résume cette période du "tout pour l'actionnaire" et bien on peut dire que ce sont les deux dernières décennies au cours desquelles la mondialisation a permis une pression sur les salaires, une maximisation des profits avec des chaînes d'approvisionnement mondialisées (on a vu ce que ça a donné avec la crise du Covid-19) ; et puis ce qui a également favorisé l'actionnaire, ce sont les largesses des banques centrales qui ont offert des facilités de financement aux entreprises et donc facilite entre autres les rachats d'actions et également le versement de dividendes, sans oublier la baisse de la fiscalité des entreprises qui là encore a favorisé les profits et donc le versement de dividendes aux actionnaires. Pour vous cette période plutôt bénie, il faut bien le reconnaître, pour le capital est révolue.

PYG : Absolument, c'est le retour de Marx avec la bonne et la juste distribution de la valeur ajoutée. Vous l'avez évoqué, des mécanismes ont favorisé l'actionnaire sur deux décennies au moins. Un autre mécanisme totalement imprévu, cette crise sanitaire, impose un nouveau jeu aux gouvernements, des gouvernements qui ont arrêté l'économie et vont la relancer. Ce sont eux qui décident du tempo, et ce faisant ont d'autres urgences que de veiller aux intérêts économiques des actionnaires, puisque ce ne sont pas les actionnaires qui votent, ce sont plutôt les salariés, et donc on est rentré dans un nouveau paradigme en termes de ré-attribution de la valeur ajoutée, à l'avantage des salariés.

VB : Est-ce que malgré tout cette vision des choses n'est pas simpliste, pardonnez-moi ? Parce que si l'on prend l'un des premiers facteurs ayant fait de l'actionnaire un roi, je veux parler de mondialisation, on dit qu'elle est remise en question, qu'elle est battue en brèche, mais on sait bien que le processus de démondialisation sera très lent. Par conséquent, imaginer que le partage de la valeur ajoutée se fera au profit des salariés immédiatement, est-ce que ce n'est pas un peu illusoire ?

PYG : Je ne pense pas parce qu'on l'entend dans tous les pays. On voit bien que les salariés, et en particulier les salariés ordinaires sont l'élément essentiel dans la gestion d'une crise sanitaire planétaire. On redécouvre l'utilité des petits salaires, on redécouvre l'importance de sociétés structurées ne faisant pas uniquement leurs profits autour de quelques stars d'un développement technologique, mais des sociétés structurées qui sont le nœud d'une société organisée et démocratique. On a également une forme de découverte du gouvernement à propos de cette réalité et de la nécessité de se préparer aux accidents potentiels de ce type en adoptant une autre forme d'organisation sociale. Je crois qu'on peut probablement trancher sur le fait que, d'une façon ou d'une autre, les salariés, les gens ordinaires, vont retrouver du pouvoir d'achat et comme la capacité de création économique ne va pas changer du jour en lendemain, voire elle va être plus faible, cela se fera nécessairement au détriment d'une des parties prenantes et donc des actionnaires.

VB : Est-ce que vous auriez un exemple concret pour illustrer cette mutation ?

PYG : Il y a un secteur dans lequel les logiques de combat sur l'appropriation de la valeur ajoutée sont particulièrement apparentes, celui du transport aérien. Dans le cas du transport aérien, la crise sanitaire en Asie a commencé par la mise à pied des salariés ¬on pense notamment à Cathay Pacific. Quand la crise est apparue en Europe, les salariés n'ont pas été mis à pied, les gouvernements sont intervenus en proposant des financements indispensables à la survie des compagnies aériennes. Les Etats-Unis ont également paradoxalement adopté le modèle européen, c'est-à-dire que l'Etat américain soutient la compagnie aérienne pour défendre les salariés et en demandant, c'est le point important, aux actionnaires de ces compagnies aériennes d'abandonner leurs dividendes. D'un autre côté, on a également une autre situation extrêmement intéressante, celle de Easyjet, dont l'actionnariat est formé d'un actionnaire fondateur à 30% et ce même Sir Stelios Haji-Ioannou a très clairement dit : « Je veux une contraction de l'entreprise Easyjet, parce que demain sera difficile, et que je ne veux pas abandonner les dividendes ni perdre le contrôle de la valeur ajoutée dans le fonctionnement de cette société qui est la mienne. » On observe au travers de ces multiples attitudes conflictuelles une discussion à un niveau presque global de la répartition de la valeur ajoutée dans un secteur qui est excessivement important aux yeux du pouvoir politique, car c'est un secteur structurant, un secteur d'infrastructure, important sur le plan du nombre de salariés, important sur le plan de la perte de pouvoir des actionnaires dans cette affaire.

VB : Même dans le cas d'Easyjet finalement, où l'actionnaire principal cherche à rester maître chez lui, on constate que le capital va souffrir puisque la contraction de la voilure pour l'entreprise veut dire moins de gains in fine pour les actionnaires.

PYG : Absolument, c'est un point extrêmement intéressant. Pour rester au pouvoir l'actionnaire propose de réduire la taille de l'entreprise, en réduisant ses investissements. A-t-il raison ou tort ? Le futur le dira, mais cela montre bien que le lendemain, comme vous l'avez dit, sera un lendemain difficile, c'est-à-dire qu'un Easyjet indépendant, sans soutien de l'État, sera un Easyjet ramassé par rapport à l'Easyjet d'avant la crise sanitaire

VB : Est-ce que le fait que l'État redevienne l'arbitre puisqu'il décide ou non de la survie d'une entreprise ou d'un secteur ne va pas modifier le comportement de certaines sociétés, en les amenant tout simplement à sacrifier une part de rentabilité au profit d'une plus grande responsabilité collective. La motivation ne serait pas la philanthropie, ne soyons pas naïfs, mais la nécessité de complaire à l'État ?

PYG : C'est assez probable que dans le fonctionnement futur des entreprises, on s'oriente vers une forme de partage avec les parties prenantes, les fameux Stakeholders dans le vocabulaire anglo-saxon, qui sera radicalement différente de celle de l'avant-crise. Il est évident qu'une entreprise ne peut pas ignorer le fait qu'elle a survécu uniquement grâce au soutien de l'État et c'est désormais l'ensemble des entreprises cotées qui cochent peu à peu cette case-là que ce soit parce que l'État est venu garantir des financements, que la même entreprise n'aurait pas eus ou aurait eus selon des termes financiers absolument exorbitants pour les actionnaires ou parce que l'État est intervenu directement en prise de contrôle partiel de l'entreprise. Ce soutien direct ou indirect est aussi une indication d'un futur qui sera différent demain, puisque l'État actionnaire a évidemment un autre objectif que la seule maximisation des profits.

VB : Est-ce que l'on ne peut pas considérer au fond que tout ce qui arrive va conduire au triomphe ou à la résurrection du capitalisme rhénan, c'est-à-dire à un capitalisme de cogestion ?

PYG : On peut effectivement se dire que d'une certaine façon cette forme de capitalisme était la bonne puisqu'elle permet de préparer des moments difficiles. On l'a vu dans les cas de très grandes entreprises allemandes qui ont connu de graves difficultés, je pense notamment à Volkswagen, il y a maintenant un peu plus de 15 ans, et on voit à quel point effectivement cette interaction par la discussion entre le capital et le travail permet de préparer le terrain et c'est probablement un bon modèle qui va inspirer encore un peu plus le monde capitaliste traditionnel, que l'on va qualifier lui d'anglo-saxon et qui va devoir effectivement donner un peu de champ à la cogestion moderne qui sera une nouvelle répartition de la valeur ajoutée.

VB : C'est aussi une des leçons de cette crise que vous soulignez implicitement, c'est qu'en sacrifiant tout à la rentabilité on ne s'est bien souvent au sein des entreprises pas ou peu préparé à l'éventualité d'un choc, quel qu'il soit.

PYG : Oui. Parce que la forme de capital d'avant-crise qui visait une rémunération des actionnaires, y compris par une raréfaction du capital mis à disposition des entreprises, au travers de mécanismes de paiement de gros dividendes et ou de rachats d'actions aboutit à des sociétés qui sont structurellement faibles, c'est-à-dire qu'elles sont capables de maximiser leurs performances financières mais uniquement au détriment de leur capacité d'absorption en cas de crise. C'est ce en quoi le capitalisme rhénan est assez intéressant, et d'ailleurs on devrait presque dire le capitalisme suisse, puisqu'on voit bien que même quand l'argent est plus facile, ces entreprises-là sont restées sur des modèles de sur-financement ¬des modèles de sur-financement par les actions, de sur-financement aussi au sens où leur bilan présente des positions de trésorerie nettes positives¬ et donc, dans l'ensemble, ces sociétés absorbent plutôt bien le choc de la crise sanitaire, là où les entreprises plus orientées vers une performance financière à court terme se sont trouvées prises à contre-pied, et le secteur aérien dont on a parlé tout à l'heure est le prototype de ces secteurs qui ont toujours été dans une logique d'extraction de la richesse, que ce soit par les actionnaires dans le cas américain ou par les salariés dans le cas européen.

VB : Est-ce que l'on n'assistera pas aussi dans ce nouveau paysage qui se dessine à un rééquilibrage du rapport de force entre actionnaires et créanciers, au détriment des actionnaires encore une fois ?

PYG : Nous vivons une crise de liquidités, ce qui signifie que celui qui amène la liquidité reprend le pouvoir. Dans le cas présent, celui qui amène la liquidité c'est le créancier, on voit assez mal pour l'instant le capital « actions » revenir assurer la survie des entreprises. Le retour en force du créancier se traduit par le fait que ces prêteurs en dernier ressort prêtent à des conditions de rémunération considérables, à deux titres : d'une part en termes d'écart entre le taux sans risque et le taux de rémunération qu'ils demandent pour prêter de l'argent et, d'autre part, via les sécurités qu'ils prennent. A titre d'exemple, on a le cas de la grande société de croisière Carnival, qui du jour au lendemain a dû mettre ses bateaux en garantie auprès des derniers prêteurs pour survivre. C'est un exemple extrêmement parlant du transfert de la propriété des actionnaires vers le prêteur du jour au lendemain.

VB : Si l'État redevient l'acteur central et si l'emploi est la boussole, est ce que l'on n'a pas un risque encore une fois (et c'est un risque qu'il faut sans nul doute accepter puisque ça permet de sauver des emplois) de voir l'État intervenir tous azimuts et d'une certaine manière détruire la concurrence, ce qui serait encore une fois dommageable pour l'actionnaire ?

PYG: Absolument. C'est un gros risque car l'État dispose d'une forme de capital disponible illimité et d'une incapacité à sanctionner les managements déficients, ce qui provoque le risque d'avoir des entreprises qui auraient la faveur de l'État et qui changeraient complètement le jeu concurrentiel dans des secteurs où la concurrence s'impose comme étant la meilleure façon d'optimiser les performances pour toutes les parties prenantes. C'est donc un risque certain, un risque que l'on verra se mettre en place. Il faut probablement attendre un cycle complet d'activité pour le voir poindre puisque chaque investisseur étatique, au moins au début, le fait avec beaucoup de bonnes intentions.

VB : Si on résume, pour vous, encore une fois, la période bénie que furent les dernières décennies pour les actionnaires est désormais achevée et s'ouvre désormais une ère beaucoup plus compliquée pour tous ceux qui comptent miser sur la bourse afin de doper leur épargne.

PYG : C'est assez probable. On assistera à la combinaison d'une intervention étatique que l'on n'a pas vue finalement sur les trente dernières années, avec une déformation de l'exigence de performance financière, et d'une réappropriation, une réallocation de la valeur ajoutée plutôt au détriment d'une façon ou d'une autre de la rémunération des actionnaires ; donc le risque d'une moindre performance financière est très prégnant pour les exercices à venir.

VB : Pierre-Yves Gauthier, dans ce nouvel univers que vous nous avez esquissé, on aura en bourse bien évidemment des gagnants et des perdants et je vous propose d'en discuter dans une prochaine émission. Pierre-Yves à bientôt pour le troisième volet de notre entretien.

 

Retrouvez le premier entretien avec Pierre-Yves Gauthier ici

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