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Marchés : les perspectives boursières de Patrick Artus

18/05/2020 - 08:25 - Sicavonline - La rédac'


Marchés : les perspectives boursières de Patrick Artus

Au cours de cet entretien, Patrick Artus, chef économiste chez Natixis, analyse les perspectives des marchés actions européens et américains. Un examen approfondi de la situation qui fournira des armes aux investisseurs envisageant de se positionner sur l’une ou l’autre de ces places boursières.

VB : Patrick Artus, vous êtes chef économiste chez Natixis. Fin février, quand nous vous avions reçu, vous nous aviez dit tandis que les marchés venaient de décrocher d'une quinzaine de pourcents que rien ne pouvait justifier pareille baisse à moins que, et la précision est d'importance, l'épidémie ne devienne épouvantable en Europe. Hélas, la situation s'est amplement détériorée tant au plan sanitaire qu'économique mais si le CAC 40 et l'Eurostoxx 50 abandonnent désormais grosso modo 25 % depuis le début de l'année leur PER, leur ratio cours/bénéfice, demeure élevé puisque les deux indices se paye l'un et l'autre 16 fois les bénéfices attendus. Aux Etats-Unis, les indices sont encore mieux valorisés, le S&P 500 se paye 19 fois les bénéfices. Quant au Nasdaq, il est pratiquement à l'équilibre depuis le 1er janvier et il affiche un PER de 34. Du coup, est- ce que les cours de bourse prennent suffisamment en compte la gravité de la crise ?

Patrick Artus : Les marchés partent du principe que la crise sera relativement courte, ce qui reste à prouver. Les cours de bourse intègrent également le soutien monétaire massif apporté par les banques centrales. Enfin, les distorsions sectorielles provoquées par la crise conséquentes et durables, sont également valorisées par le marché. Je l'ai évoqué dans mon introduction, le marché table sur la brièveté de la crise malgré son extrême violence. On sait approximativement que les bénéfices par action de 2020 vont baisser de 35 % à 40 % en moyenne, mais le marché mise sur un rebond dès 2021 du PIB et des croissances de bénéfice extrêmement fortes et c'est là, à mon avis, que le bât blesse. Ces estimations minimisent l'impact du Covid-19 sur l'activité post dé-confinement. La reprise ne se fera pas dans les conditions normales et habituelles. La mise en place des mesures sanitaires dans les entreprises telles que les mesures de distanciation des salariés et de désinfection des locaux etc. génèrera sans doute un abaissement conséquent de la productivité du travail. Dans les entreprises, on a des estimations préliminaires provenant d'enquêtes faisant état d'une baisse de 10 à 15 % de productivité du travail à cause de ces mesures sanitaires.

VB : Ce qui est considérable...

PA : Oui. Sur un chantier, dans un commerce, dans un restaurant, dans un aéroport, dans l'industrie, le fait que les salariés doivent se tenir à distance, qu'il faille désinfecter les postes à chaque changement et éventuellement mettre en place une prise de température…feront nécessairement perdre du temps. Une perte de 10 à 15 % de productivité entrainerait une reprise poussive de la croissance en 2021. Il y aura donc bien une reprise, mais elle sera nettement moins forte que celle qui est envisagée. Je ne souscris pas à la thèse qui prétend que l'on pourrait atteindre, 6, 7, ou même 8 % de croissance en 2021. Après, -9 % ou -10 % en 2020, je penche pour une croissance de +3 ou +4% en 2021. Les marchés sont peut-être un peu trop optimistes et pour l'instant n'ont pas pris en considération la perte d'efficacité liée aux contraintes sanitaires.

VB : Mais au-delà de la perte d'efficacité de productivité, il y a aussi la question des destructions d'entreprises...

PA : Oui. Mais leur nombre pourrait être relativement limité. Bien sûr, certains secteurs risquent de payer un plus lourd tribut, mais le soutien massif des Etats et des banques centrales devrait amortir la chute. Par rapport à ce qu'aurait été le nombre de faillites sans ce soutien, la situation sera bien moins catastrophique. Peut-être qu'à nouveau les estimations sont un brin optimismes, mais les évaluations d'évolution des défauts d'entreprises réalisées par de grandes agences de rating, par des entreprises de garantie de crédit et par l'assurance-crédit, parlent de 15 à 20% de hausse des défauts sur la base d'un recul du PIB de l'ordre de -9 ou -10 %. Honnêtement, les dégâts seraient limités. La survie des entreprises tiendra en grande partie au soutien massif mis en place a notamment grâce aux baisses d'impôts, aux soutiens sectoriels, au financement du chômage partiel et aux prêts garantis par l'Etat. Le vrai sujet est plutôt celui de l'intensité de la reprise, un phénomène que l'on observe d'ailleurs en Chine, aujourd'hui, où la reprise reste mesurée. Le deuxième point d'attention, bien sûr, tient au soutien des banques centrales. On assiste à une création de liquidités incroyablement plus puissante que celle mise en place pendant la crise des subprimes. Le bilan de la Réserve fédérale a augmenté de 2 000 milliards de dollars en six semaines. Ces liquidités, pour l'instant, on le voit bien, sont détenues sous forme de monnaie à cause d'une intense aversion au risque. La monnaie créée est stockée sous forme de dépôts, d'actifs très sûrs, mais dès que l'on notera une amélioration sur le front économique et un retour même timide de la confiance, cette monnaie sera réinjectée dans des actifs financiers beaucoup plus risqués, tels que les actions. On peut anticiper une forte hausse de la valorisation des actions dès lors que cette vague de liquidités, créée par les banques centrales, déferlera sur les marchés actions. C'est un phénomène très difficile à mesurer mais à n'en pas douter il sera massif.

VB : On voit déjà que c'est le cas puisque les marchés ont rebondi très fortement depuis la mi- mars consécutivement à l'intervention des banques centrales...

PA : Oui, bien sûr. Pourtant pour l'instant, objectivement, la monnaie n'est pas investie sur les marchés actions, elle est stockée en monnaie. On a observé un léger frémissement d'investissements depuis une ou deux semaines sur le marché des obligations high yield, mais très peu en actions. Nous sommes au début de ce mouvement de ré-injection de la liquidité dans des actifs plus risqués. Alors, bien sûr, les marchés ont compris que cette crise allait créer d'incroyables distorsions sectorielles dans les économies. Chaque jour, les évolutions sectorielles s'affinent. On sait que la Tech s'en sort très bien tout comme la santé tandis que les biens durables, l'automobile, l'aviation ou encore les biens d'équipement industriels sont affaiblis et la distribution traditionnelle aussi. Non seulement, le secteur de la Tech s'en sort bien, mais il est promis à un bel avenir, car on peut imaginer qu'après cette crise on aura davantage de salariés en télétravail et une forte appétence pour la distribution en ligne, supposant un accroissement considérable des besoins d'échanges électroniques.
Une étude américaine affirme d'ailleurs qu'on passerait de 14 % d'heures télétravail à la maison à 37%. Si c'est réellement le cas, la hausse des besoins en matière de télécommunication et d'échanges sera considérable.
Du côté des marchés, la bonne tenue du secteur de la Tech, majoritaire au sein de la cote US, fait plutôt pencher la balance en faveur du marché américain. En Europe, les marchés sont au contraire pénalisés par l'automobile, par l'aéronautique, le transport aérien et la grande distribution non alimentaire qui devraient assez largement souffrir. Comme d'habitude en période de crise, le marché pénalise aussi les banques sans véritable raison fondamentale. C'est un réflexe habituel qui, cette fois-ci, n'est pas légitime. Les banques européennes ne vont pas particulièrement aller mal, mais ce réflexe de rejet est néanmoins bien présent.
Cette disparité sectorielle entre les marchés US et européens plaide davantage en faveur du marché US.

VB : Donc, logiquement il faut continuer à surpondérer les Etats-Unis dans les portefeuilles ?

PA : Il faut faire preuve de prudence et examiner la situation secteur par secteur. Car tout n'est pas rose de l'autre côté de l'Atlantique. La disparité de politique économique entre les Etats-Unis et l'Europe en termes de prise en charge du chômage tourne cette fois à l'avantage du vieux continent. Les entreprises américaines ont décidé, comme d'habitude en phase de récession, d'ajuster extrêmement brutalement les emplois, alors que les entreprises européennes profitent du dispositif de chômage partiel. La chute de revenus pour un Américain qui perd son travail est beaucoup plus importante que pour un Européen. Résultat, on constate une très forte hausse des défauts des Américains sur les crédits en particulier immobiliers, ce qui provoquera une crise de l'immobilier et une crise bancaires aux Etats-Unis mais pas en Europe. Il faut rester méfiant vis-à-vis de l'économie américaine. Le secteur de la Tech est très résistant mais les secteurs bancaire, immobilier, de la distribution et liés à la consommation des ménages risquent d'être au contraire extrêmement déprimés. La sélectivité sectorielle revêt toute son importance.

VB : J'aimerais revenir au débat que vous mentionniez au début de cet entretien, à savoir est-ce que la crise sera durable ou brève et vous notiez avec raison l'ampleur du soutien apporté par les Etats et par les banques centrales, mais si leurs mesures limitent la casse, est-ce qu'on n'a pas un problème tout de même de transmission de l'argent à ceux qui en ont besoin ? On voit qu'aux Etats-Unis la partie du plan qui concerne l'aide aux PME a du mal à être exécutée. On a beaucoup d'entreprises qui n'arrivent pas à bénéficier des prêts garantis par l'Etat fédéral et ces entreprises ont généralement des trésoreries assez restreintes... Donc est-ce qu'on ne va pas avoir de la casse, une casse qui n'est pas prise en compte aujourd'hui par le marché ?

PA : En Europe, les petites et moyennes entreprises sont financées par les banques. Aux Etats-Unis, elles se financent majoritairement sur le marché obligataire high yield. Quand l'Europe a mis en place des programmes de prêts garantis, les banques ont joué le rôle de relais auprès des entreprises et distribué de façon considérable des prêts garantis par les Etats. L'entreprise frappe à la porte de son banquier habituel qui lui fait crédit. Pour preuve, en France, le taux de rejet des demandes de prêt est de l'ordre de 4%. Autrement dit, 96 % des entreprise qui le demande obtiennent un prêt garanti par l'Etat.
Les choses se passent différemment aux US. Certes, la Réserve fédérale a lancé un programme de prêts aux PME, mais là-bas, il n'y a pas de relais, il n'y a pas ce maillage entre la banque et ses entreprises clientes et le marché du high yield aux Etats-Unis est complètement arrêté. Il n'y a pas de financement aujourd'hui en high-yield ou très peu, c'est en train de redémarrer mais extrêmement doucement. La difficulté que vous mentionnez concerne uniquement les Etats-Unis et tient au fait qu'en période de récession, il est plus facile de maintenir un financement bancaire qu'un financement obligataire et que l'on ne substitue pas aussi facilement que ça un financement bancaire à financement obligataire.

VB : Si on doit synthétiser tout ce que vous venez nous dire, vous nous expliquez que le soutien des banques centrales devrait normalement amener à des flux vers les actions, ce qui est un facteur de soutien, mais la crise selon vous sera quand même plus durable que ce que les marchés anticipent. Du coup quand on est un épargnant, un investisseur est-ce que l'on doit aujourd'hui, après le rebond des marchés depuis la mi-mars, continuer à s'exposer ou attendre un petit peu que ça reflue ?

PA : La question est complexe car si à mon sens toutes les mauvaises nouvelles soient valorisées par le marché il y aura par ailleurs une montagne de liquidités d'une ampleur inédite à investir. Je ne sais pas de quel côté va pencher la balance. J'aurais tendance à penser que le marché peut être extraordinairement erratique à court-terme ¬¬(regardez ce qui peut se passer en une seule journée) mais à un certain moment, la montagne de liquidités va l'emporter. Donc, à condition d'accepter une forte volatilité à court terme avec des bons jours et des mauvais jours et une très grande amplitude entre ces différents mouvements, je pense qu'on profitera plus tard de l'abondance de liquidités. Le timing d'entrée est cependant compliqué et à mon avis, il faut accepter cette forte volatilité dans un premier temps. Le retour des liquidités sur les marchés aura un effet extrêmement positif sur les actions, mais jusqu'à la rentrée, je le répète, il faut être prêt à supporter énormément de volatilité avec des jours d'euphorie, des jours de déprime sur la base de nouvelles aussi bien sanitaires qu'économiques, et, n'oublions pas non plus qu'à mon sens, le marché ne valorise pas encore complètement le recul de la productivité lié au respect des consignes sanitaires dans les entreprises.


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